LC - Loi sur les communes

Préservons l’âme même de notre démocratie locale

Mesdames, Messieurs, chers collègues,

Au nom de nos antiques libertés et de la noble dignité qui doit habiter toute vie communale, je me tiens devant vous pour alerter les consciences et convier chacun à cet élan généreux qu’appellent les grandes causes. Car c’est bien à une grande cause que nous sommes aujourd’hui conviés : la défense de nos communes, ce berceau premier de la démocratie, menacé par un avant-projet de loi (AP LC) qui, sous prétexte de rationaliser et de moderniser, risque de dénaturer l’esprit même de notre organisation locale.

C’est dans l’enceinte humble mais vivante de nos conseils généraux et communaux qu’hier, comme aujourd’hui, les citoyens apprennent la liberté pratique : celle que l’on cultive au contact direct de l’élu, celui qu’on tutoie au café ou qu’on croise au détour d’un chemin. Que deviendra cette proximité chaleureuse lorsqu’une loi unificatrice imposera le même carcan à la petite commune de trois cents âmes et à la grande ville de plusieurs dizaines de milliers d’habitants ? Cette uniformisation, qui ne tient compte ni de la diversité de nos territoires ni du dévouement spontané de nos élus bénévoles, pèse déjà lourdement sur les plus petits d’entre nous.

On parle de « professionnalisation » avec assurance, on évoque la « transparence » avec éloquence. Mais ce discours, si flatteur dans la forme, dissimule des réalités plus prosaïques : obligation pour les villages de se doter d’employés à un taux minimal, exigence d’un urbaniste, inclusion de cautionnements dans la dette, incompatibilités familiales uniformisées qui rendent intenable l’engagement au cœur d’un petit village où tous se connaissent et s’entraident. Sous ce joug, qui s’étonnera de voir se multiplier les fusions ? Car si le Conseil d’État ne nous dit pas explicitement « Fusionnez ! », il nous lie les mains par mille règles si pesantes que nous n’aurons d’autre issue que d’y consentir malgré nous.

Il est vrai que cet avant- projet de loi ne manque pas d’intentions louables, ainsi en imposant la publication en ligne des règlements, des budgets et des comptes, cette loi offre à chaque administré un accès direct et continu aux décisions qui façonnent le quotidien de sa commune. Cette transparence accrue n’est pas seulement une exigence technique : elle permet à nos concitoyens de suivre en temps réel la gestion publique, favorisant ainsi un dialogue éclairé entre élus et administrés et renouvelant la confiance dans nos institutions locales.

Permettez-moi d’illustrer ce lien vital par une anecdote concrète. Dans notre commune, une dame d’un grand âge et jadis fier de l’entretien de son modeste jardin, se trouvait désormais dans l’impossibilité de se rendre à la déchetterie pour y déposer ses déchets ni de tondre le gazon de sa pelouse, qu’elle chérissait comme le reflet de son autonomie. Conscient des difficultés que rencontrent nos aînés et animé par un sens profond du service public, notre employé communal au cœur généreux, prit l’initiative d’agir. Sans attendre une demande formelle, il se rendit chez cette personne, emmena ses déchets jusqu’à la déchetterie et, armé de sa tondeuse, s’attela à rafraîchir le gazon, accomplissant ces gestes bénévolement. Ce témoignage d’humanité, cet acte spontané de solidarité, illustre avec force la proximité qui doit caractériser notre action publique, même face aux lourdeurs d’une modernisation imposée.

Que restera-t-il de ces élans spontanés lorsque des réglementations rigides viendront encadrer chaque geste du quotidien communal ?

Au reste, l’histoire nous enseigne que c’est dans ces plus petites cellules sociales que la démocratie s’affermit et que se forme la conscience du bien commun. Une loi juste ne doit point se borner à l’égalité rigide : elle doit respecter la variété des situations, s’adapter aux capacités et aux besoins de chacun. Le projet actuel, en traitant chaque commune de la même manière, consacre l’effacement des plus humbles et délaisse cette souplesse salutaire qui a permis à des générations de s’investir dans leurs villages, animés par l’esprit de fraternité et la volonté de gérer au mieux les affaires locales.

Il ne s’agit pas ici de refuser tout renouveau ni de nier la nécessité d’un certain contrôle. Mais on ne saurait confondre l’intérêt supérieur de la collectivité avec une centralisation outrancière qui, pour corriger de rares dérives, oppresse la multitude des communes saines et bien portantes. Car, dans nombre de communes, on ne compte que quelques permis de construire par an, un budget soigneusement tenu, un secrétaire qui connaît personnellement chaque administré. Pourquoi frapper ce modèle d’un excès de professionnalisation, comme s’il fallait d’emblée le considérer inapte ou défaillant ?

Nous ne demandons pas le statu quo, nous demandons de la mesure. Une règle juste est celle qui s’ajuste, une loi légitime est celle qui accepte de s’adapter. Ne sacrifions pas ce maillage patiemment construit, ces communes qui ont fait la démonstration, des décennies durant, qu’on peut gouverner sobrement, dans l’entraide et la proximité, sans pour autant sombrer dans le désordre.

Mesdames, Messieurs, chers collègues, je vous conjure, au nom des libertés communales qui sont le plus sûr rempart contre l’indifférence et la résignation, de marquer votre opposition à ce projet en l’état. Qu’on ne nous oppose pas la fatalité, qu’on ne nous reproche pas notre attachement au libre gouvernement des petits foyers de vie : nous savons, pour l’avoir éprouvé siècle après siècle, que la puissance d’un canton tient à la vigueur de chacune de ses communes. Serrer trop fort l’étau normatif, c’est éteindre le feu précieux où se forme l’esprit citoyen, c’est tarir la source où naissent tant d’initiatives d’intérêt général.

S’il est encore temps de faire résonner la voix de la raison et du cœur, de préserver ces précieuses libertés locales, que cette tribune soit l’écho d’un refus clair : refus d’une uniformité niveleuse, refus d’une pression insoutenable sur les plus modestes, refus, enfin, de voir la fusion comme la seule porte de sortie. Alors, sans rien céder au laxisme, offrons à chaque commune la reconnaissance de sa situation unique : qu’une loi qui se dit « modernisatrice » sache embrasser la diversité d’un canton fier de ses racines et de ses libertés enracinées. C’est à ce prix seulement que nous préserverons l’âme même de notre démocratie locale.

Vive les libertés communales !

Vive le Pays de Vaud !

Yannick Escher, Syndic Henniez

One Comment

  • Herafa

    Bonsoir,
    Un Grand Merci pour l’engagement pris pour dire ce que le Peuple dormant ne voit pas.
    En parcourant la nouvelle LC je pense a ORWELL 1984…
    Le peuple suisse oublie bien souvent les trois piliers que le pacte de 1291 nous a laissé.
    Droit
    Devoir
    Obligation

    Ces trois éléments vont ensemble et sont indissociables.
    Hernan